[One Shot] Silence

Thelos était rentré chez lui alors qu'il faisait déjà nuit depuis une bonne heure. Dans un ciel où une cicatrice laiteuse traversait la toile de velours, les étoiles scintillaient doucement, comme murmurant entre elles des secrets inconnus des mortels. Cette lumière légère et douce, couplée à celle de la lune, offrait assez de clarté pour que le jeune homme aux yeux violets ne se perde pas dans les Bois malgré son peu de concentration à s'occuper du chemin. A vrai dire, il laissait plutôt ses pieds le porter sans se préoccuper de réfléchir à une destination. Ou à quoi que ce soit d'autre, d'ailleurs. Son esprit était vide de toutes choses, comme son visage. Ses traits n'étaient que lassitude morne et désolée tandis qu'il passait la porte de l'Eden.

En l'entendant rentrer, Sofia passa la tête par la porte du salon. L'état de siège avait été levé depuis que l'agent en poste à la pension avait prévenu ses occupants, et tout le monde était retourné se détendre un peu. La jeune femme l'informa qu'Eiki était partie mais cela ne sembla pas émouvoir l'Eleveur aux cheveux blancs. A vrai dire, il ne tiqua même pas. Il se contenta de regarder son amie quelques instants, et elle vit alors une grande détresse apparaître dans les iris si particulières de son employeur. Alarmée, elle s'avança un peu vers lui et remarqua qu'il avait la main gauche couverte de sang. Ses yeux s'écarquillèrent sous le premier choc mais son esprit pratique fut rassuré rapidement en constatant que le fluide vitale était coagulé et ne venait pas de Thelos.

-Que s'est il passé ? C'est Stevenson ? Tu l'as...?

La souffrance qu'on pouvait lire dans les yeux du jeune homme s'accentua et des larmes commencèrent à perler. Il ouvrit la bouche pour essayer de dire quelque chose mais aucun son ne sortit, malgré ses tentatives pathétiques pour essayer de parler. Quand ses bras commencèrent à trembler, Sofia se réveilla et s'approcha avec douceur de son ami pour le prendre par la main et le mener à l'étage, lentement, en veillant à le guider dans les escaliers. Ils allèrent jusque dans la salle de bain de l'Eleveur, où elle lui posa la main dans le lavabo en lui murmurant des paroles tout bas, pour l'apaiser. C'est ce qu'il faisait pour calmer un Pokemon qui était trop nerveux, et elle n'avait pas de meilleur idée. Elle lui lava longuement la main sous l'eau, pour faire partir toute trace du sang de Stevenson, et il sembla se détendre un peu. Du moins, il arrêta de trembler. Sofia coupa l'eau et sécha rapidement la main en s'appliquant et amena l'épave qui lui servait d'employeur jusqu'à son lit. Elle lui prit délicatement les Pokemon qu'il avait emmenés avec lui et l'allongea avant de lui enlever ses chaussures. Elle se doutait de ne pas pouvoir le mettre sous la couverture, aussi elle choisit de ne pas batailler pour lui ôter quelques vêtements. Les nuits étaient fraiches, à Hoenn.

Quand elle descendit les escaliers, la jeune femme poussa un soupir profond devant l'état de Thelos. Il était visiblement atteint. Pendant quelques instants, elle caressa l'idée d'appeler un psychiatre. Avec tout l'argent qui rentrait dans leurs caisses, ils pouvaient se permettre de sa payer un des rares médecins spécialisés qui restaient en ce monde. Toutefois, elle rejeta rapidement cette idée. Il n'apprécierait pas du tout que l'argent alloué à la pension aille pour lui seul. Finalement, ne sachant pas que faire, elle décida d'aller voir Gardevoir pour la mettre au courant de l'état de son maitre. La Pokemon Psy fut naturellement très inquiète en apprenant l'état de Thelos et elle se téléporta dans sa chambre.

Il la vit se matérialiser au centre de la pièce, le visage attristé devant son état, et pourtant il ne parvenait toujours pas à articuler un mot. Il s'était adossé au mur et avait ramené ses genoux contre son torse, ses bras les entourant. Le jeune homme aux cheveux blancs se sentait pressé par un impératif de disparaître, de se glisser dans un trou de souris et de ne plus revenir mais bien que toute sa peine veuille qu'il s'efface, il n'y parvenait pas. Ni à parler, ni à disparaître, ni à penser. Il était obsédé par une seule idée : Ces morts dont il était responsable et qui s'accumulaient chaque fois de plus en plus. Il avait l'impression de ne pouvoir sortir de chez lui sans qu'on ne le paye d'une vie. Au moins une. Certes, les humains lui étaient profondément répugnants, et leur mort l'indifféraient au plus haut point. Mais il y avait un gouffre entre savoir que quelqu'un meurt et être celui qui ôte la vie à un être vivant, fut-il un humain. Thelos sentait qu'il avait souillé quelque chose en lui, il se sentait sale et brisé. Gardevoir, sensible à ce flux noir qui émanait de l'être qu'elle aimait par dessus tout, fut un instant désespérée de voir à quel point il souffrait de ce qui lui arrivait. Il sentit qu'elle tentait de pénétrer dans son esprit mais le garçon était incapable de lui faciliter le passage, et son Pokemon ne pouvait entrer de force sans briser ses pensées. En désespoir de cause, l'élégante Pokemon avança jusqu'à lui, immobilisa délicatement le visage de Thelos entre ses mains et usa d'Hypnose pour l'envoyer au pays des songes.